lundi, janvier 22, 2007

Rap bling bling ou la sacralisation de l’objet et la réification de l’humain.

Je livre ici quelques réflexions à propos des clips de rap tendance bling-bling, et d’autres problématique plus général, que j'ai eues à l'occasion d'un échange de mail avec un ami.

J’ai mis dans le précédant articles quelques documents vidéos pour illustrer le bazar, et pour ceux qui ne savent pas trop de quoi il s’agit.

En cherchant sur le net, j'ai constaté qu'en langue française il n'y avait pas grand chose sur la question. Aussi me paraît-il légitime de publier ce petit spicilège de pensées.
(J'ai découvert le mot spicilège hier)

Dans le bas de cet article vous trouverez quelques liens plus ou moins en rapport avec les sujets traités.

Et j'espère que vous m'excuserez des fautes d'orthographe et de grammaire qui ne manqueront pas d'être présentes. En effet, je n'ai pas effectué les quatorzes relectures qui s'imposaient.


Il y a aujourd’hui une tendance à considérer que en matière d’art, tout ce qui est réfléchi est chiant.
Il y a effectivement beaucoup d’œuvres d’art qui se donnent des grands airs intellectuels et qui en fait n’ont rien de bien intéressant. Mais cela ne veut pas dire que tout ce qui est un art réfléchi est indubitablement chiant.
Il y a très certainement un tas d’œuvres dont nous ne pouvons apprécier la valeur, car nous ne sommes pas capable d’en avoir une lecture appropriée, et cela parce qu’elle serait trop différente de celle que nous sommes habitués à avoir depuis tout petit, de par le fait que nous avons regardé une énorme quantité de films, dessins animés, clips, pubs… fonctionnant tous selon une même grille de lecture.
D’un autre côté, il y a des gens qui prétendent que l’art doit être réfléchi et engagé.
Ce qui me semble tout aussi idiot, pourquoi l’art ne pourrait-il pas être instinctif ?

L’art est une expression de moi-même, je suis un être entier, m’amuser et réfléchir ne sont pas des choses opposées l’une à l’autre, lorsque je crée, c’est le résultat de ce que je suis, et pas nécessairement d’une partie de moi qui écarterait les autres.

Ma sensibilité et mon intelligence ne sont pas deux entités séparées qui agissent chacune pour leur compte.

Je ne crois pas que le culturel soit quelque chose de neutre. Le réel influence l’imaginaire et l’imaginaire influence le réel.

Je pense que si l’on veut intervenir dans le domaine culturel, il faut se poser certaines questions.

Qu’elle soit motivée par une pulsion créatrice ou qu’elle soit le fruit de nos réflexions, notre production artistique témoigne de notre rapport au monde.

En ce qui concerne le pimp en tant que beau gosse (dans la culture afro-américaine) :

Que plusieurs filles chérissent un homme pour le jeu d’un clip, d’un film ou autre me paraît quelque chose de très chouette et m’amuserait beaucoup, ce qui ne me plaît pas c’est que cet homme se présente comme un mac, et présente ces filles comme sa propriété tout en affichant un faciès méprisant à leur égard ou à la caméra (donc aux spectateurs), comme c’est le cas dans les clips de rap, et ne dénotant aucun réel désir ou attrait pour elles, mais bien en les présentant comme son mobilier humain qu’il pense être socialement valorisant.

Par rapport aux habits :

Qu’on veuille être beau, soit, normal, mais il y a dans les clips un côté d’affirmation de son existence à travers des artifices, qui m’agace. On existe avant tout par ses pensées, ses choix, ses actes.
La frime à travers les vêtements ne me dérange pas. Ce qui me dérange c’est que dans les clips, l’accent soit mis uniquement là-dessus ; et que d’autre part le choix de ces artifices à des liens direct avec la réalité.
Ce n’est pas pour rien que les marques payent pour que les rappeurs portent leur vêtements. Ils savent que les gens vont s’habiller comme les rappeurs. Les stars définissent la mode — ou en tout cas une certaine mode.
On sait qu’il y a lieu d’avoir des doutes quant aux conditions de production de ces vêtements. On sait que les voitures polluent, qu’elles détruisent la terre, que grâce à elles nos villes sentent mauvais, que l’air y est irrespirable… ; et pourtant tous ces rappeurs continuent de frimer dans leur voitures — c’est à qui aura la plus grosse — la plus polluante — en roulant pour aller nulle part, mais juste pour montrer qu’ils en ont une.
Quelle magnifique expression de la réussite !

Quant aux bijoux – comble de la frime parce que d’une totale inutilité – ils commencent maintenant pour certains à se repentir et faire profil bas – faut bien continuer à vendre ses disques – en découvrant – merci Hollywood – qu’avec leurs bijoux, leur pendent au cou des dizaines de milliers de morts et de drames humains. (Et à nos baskets sont attachées des conditions de travail horribles, et à quantité d’autres choses que nous possédons, oui).
De toute façon le grand capitalisme a assez prouvé que dans son échelle de valeur l’argent passait bien avant l’humain. Vanter le matériel lorsque l’on a un tel rayonnement médiatique, c’est faire son jeu à la perfection, ce n’est pas juste être un consommateur irresponsable ou victime, c’est vraiment lui venir en aide de tout son poids.

Donc l’argent en tant que valeur morale, qui fait partie intégrante de la culture afro-américaine et américaine tout court, parce que symbole de réussite social, ne peut que me déplaire. Vivre en haut des buildings, envoyer des gens faire ses courses, ne plus fréquenter le commun des mortels est-il une réussite sociale ? N’est-ce pas plutôt un échec social ?

Le matériel n’est généralement qu’un moyen, un moyen auquel on peut porter une certaine affection, mais qui n’est jamais qu’un moyen. Et ne lui accorder que l’importance qu’il mérite permet de ne pas classer les gens dans des cases.

Cette sacralisation du matériel existe dans le monde réel. On sait qu’il y a un nombre incalculable de gens – plutôt des mecs – qui sortent de leurs gonds et sont prêts à se battre pour une éraflure sur leur capot de voiture. Une voiture c’est juste quelque chose qui te permet de te déplacer plus vite sans te fatiguer.

Cette glorification jusqu’à l’écoeurement, de l’objet, de la parure, dans les clips, me semble dénoter d’un cruel manque de confiance en soi.

Par rapport à l’argument de la sublimation parfois avancé :

Une chanson de rap, avec tout le processus de production que cela implique (enregistrement, clip…) peut-elle être considérée d’un bout à l’autre comme le transfert d’une pulsion ?

Je ne crois pas que chaque clip de rap pimp bling procède d’une sublimation sexuelle. Je pense qu’il s’agit plutôt dans la majeure partie des cas d’un créneau de vente.

Et si la sublimation de la sexualité consiste à transformer une pulsion sexuelle en une chanson de rap qui glorifie l’homme en tant qu’être supérieur à la femme et celle-ci lui étant soumise, et à diffuser cela au maximum sur la terre entière pour se faire beaucoup d’argent, alors oui j’ai un sacré problème avec la sublimation de la sexualité.

Omniprésence d’images à caractère sexuel :

Je considère que j’ai été beaucoup trop exposé à des images à caractère sexuel, formel ou suggéré, qui dans l’immense majorité des cas, véhiculent un même type de sexualité.
Mon épanouissement sexuel passe par le discrédit de cet imaginaire trop uniforme, comme mon épanouissement général passe par le discrédit de la grosse majorité de la production audiovisuelle dans laquelle je ne peux me retrouver.

Il m’est presque toujours impossible d’éprouver de l’empathie pour un acteur de cul, comme il m’est impossible d’éprouver de l’empathie pour un rappeur bling-pimp.

Les clips de rap mainstream — comme le porno — donnent quasi toujours la même représentation de rapports hommes-femmes, qui confinent la femme en tant que pute-objet destinée au service de l’homme — et elle trouve là sa jouissance, et l’homme en tant que chef qui trouve sa jouissance dans la domination et la possession d’autres êtres humains.

On présente l’invasion des filles nues dans les clips comme une libération sexuelle, je prétends quant à moi que de part l’uniformité des schémas sociaux véhiculés dans ces représentations il s’agit plutôt d’une entrave à la liberté sexuelle. Une entrave faite dans l’imaginaire dominant — celui qui est le plus visible, qui influence l’imaginaire d’un grand nombre de gens, comment expliquer sinon qu’une chiée de groupes fasse du rap complètement calqué sur le modèle américain du moment, pour l’instant le crunk.
Et je prétends que l’imaginaire à une influence réelle sur nos conceptions des choses et des êtres.

La constante du rapport social à caractère sexuel sous-jacent représenté dans les clips de rap bling, à savoir le pimp et la pute, le chef et l’esclave, me paraît d’une pauvreté affligeante dans son absence de diversité.
Il n’y a dans la grande majorité des clips, aucune expression de visage qui soit vraie, tout est falsifié, tout est de l’ordre de la frime, une frime qui n’existe que dans le clip. Une frime qui n’exprime même pas la jouissance qu’il pourrait y avoir dans la frime, ils sont dans une frime — les hommes comme les femmes — qui est complètement distanciée de toute expression humaine naturelle.
Tout est fait, des décors aux expressions des visages, dans le seul but de frimer. Ce sont des humains qui n’ont rien d’humain ; ils présentent, au sein d’un système d’images factices, quelque chose qui n’existe pas, comme le désir par excellence.

Les putes dans les clips n’existent que par leur fonction de putes. Que ce soit celle-là ou une autre, c’est pareil. C’est une négation de l’individualité.

Certes elles sont incroyablement sexy, toute la plastique est très bien faite, mais tout est froid, ils voudraient exprimer le désir ? Mais c’est un désir faux, un désir vidé de tout sentiments.
Le système de représentation des bimbos dans les clips exprime moins une volonté d’exhaler leur beautés et le désir que celles-ci peuvent susciter qu’un statut d’objet valorisant pour celui qui les possède.

À croire qu’il y a une impossibilité, pour cette génération élevée au porno, de faire, par le biais d’une œuvre artistique, une ode au cul, au sexe, à l’amour, au désir, à la chair, de rendre hommage à ce qui nous fait tous courir et vivre, sans que cela soit accompagné d’un mépris et d’un rabaissement de l’autre ; une impossibilité de ne penser la représentation sexuelle autrement qu’en termes de combat et de compétition.

Mais ce n’est pas tellement qu’une telle forme de rap existe qui me dérange, ce qui me dérange plus, c’est qu’un nombre incroyable de gens se mettent à faire du rap de ce type, reproduisant dans leur textes et clips les schémas du film pornographique et son mépris inhérent à l’égard des femmes et le fait que leurs clips soient bien souvent de pâles imitations du modèle américain simplement parce que en l’occurrence, leur principal source d’inspiration ça n’est pas eux-mêmes, mais un schéma qui marche, qui donne l’impression d’être dans le coup.

Me dérange aussi le fait qu’on ne présente qu’un genre bien typé de filles comme digne d’être désirées, ou digne d’incarner un être sexuel. Or Le désir est propre à chacun, il ne se limite pas à l’aspect visuel — et le clip nous donne sans doute un des plus pauvre aspect visuel du désir. J’ai mis du temps à accepter que je pouvais ardemment désirer une femme qui ne corresponde en rien aux critères de beauté médiatisés.

Les références en matière de sexe — s’il faut qu’elles existent en grande quantité comme c’est le cas actuellement —, devraient être le plus varié possible, or les médias véhiculent une conception de la sexualité souvent très réductrice.

Le désir est donc propre à chacun. Mais les rappeurs dans les clips n’expriment pas, comme serait sensé le faire l’art, leur désir propre, ils ne font que mettre en place des schémas standardisés qui assurent une sûreté en termes de ventes — avec de temps à autre quelques innovations majeures : une nouvelle paire de lunettes, une nouvelle couleur de string ...

Le calcul me semble assez simple : s’il y de la fesse dans le clip, les gens vont plus le regarder, la musique va ainsi plus facilement leur rester dans la tête, donc ils vont plus facilement l’aimer et donc vont plus facilement l’acheter.

En cela la chair des belles filles est utilisée comme instruments de ventes.
L’utilisation du corps comme moyen de faire du fric en s’en servant pour allécher le consommateur en tant qu’être sexuel, c’est ce que fait le clip de rap.
L’utilisation du corps comme objet effectif de consommation sexuelle, pour faire du fric avec la misère sexuelle, c’est ce que fait la prostitution.
C’est différent, oui, mais les disciplines semblent un peu cousines. D’ailleurs le héros du clip est souvent un « pimp » et les filles des « bitchs » !

Avec le mythe du gangster qui réussit, qui rejoint assez celui du self-made-man, la spectacularisation de la possession de richesses se nourrit de la frustration des gens, pauvres, qui les désirs.
On fait donc du fric en montrant qu’on est riches à des pauvres qui payent l’entretien qu’ils ont de ce rêve de richesse.

Lorsqu’on regarde les clips de rap bling, force nous est de constater qu’ils se ressemblent tous les uns-les autres (avec peut-être certaines tendances différentes), et sont faits sans grande originalité. Ils fonctionnent selon des recettes qui marchent et l’on met chaque fois les mêmes ingrédients. A ce niveau-là le clip ne relève plus d’une production artistique mais bien d’une production industrielle.

Je n’ai pas envie – à plus forte raison si c’est avec des potes – de reproduire cette nullité, ni de lui faire des références révérencieuses.

La référence est intéressante comme aide à la compréhension de l’œuvre au sein de laquelle elle est usée ; et aussi pour montrer de quoi est nourri celui qui produit l’œuvre, intellectuellement et artistiquement. Or le rap pimp bling bling se situe pour moi en tant que nourriture intellectuelle ou artistique dans ce qu’il y a de plus pauvre.


En ce qui concerne la sémantique, je n’ai pas envie d’utiliser le mot pimp, comme valorisant, dans mes productions artistiques. Peut-être est-ce une histoire de goût, mais ce mot arrivant avec, et étant lié à tous ces clips que je n’aime pas, je n’aime pas ce mot. Et n’ai pas l’intention d’utiliser sa traduction non plus dans un autre sens que celui qu’on lui connaît. Je peux apprécier un tas de choses qui viennent des Etats-Unis, mais je ne vais pas me mettre à faire tout comme eux, à utiliser leur langue à tout bout de champs pour me donner un genre.
Il y a des évolutions de la langue dont nous sommes les héritiers et d’autres dont nous sommes les acteurs. Je ne prétends pas être un acteur conscient de cela en tout cas, mais dans celui-ci je le suis.

Et pour moi, pute, c’est très clairement une insulte, et ça ne veut pas dire, jeune fille libre sexuellement.

Le rap fait passer le mac pour un tombeur, Hollywood, le mafioso pour un patriarche noble et respectable, et les feuilletons français, les flics pour d’adorables assistants sociaux.
Je ne me situe pas dans ces créneaux.

Voilà,
je terminerai par une citation qui me semble extêmement pertinente :

L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir.
L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout.

Guy Debord, La société du spectacle, 1967



Les liens :

Autour du bling bling :
Sierra Leone: la guerre des diamants
Bling : consequence and repercusion Site du film, le film est visionable égallement dans l'article en dessous.
Blood diamond
Les diamants sont les meilleurs amis des rappeurs... des terroristes et des esclavagistes
Tego Calderon envoie balader P. Diddy
BLING BLING EQUITABLE
BLING BLING EQUITABLE...LA SUITE
Bande annonce du film «bling a planet rock» Je trouve presque criminel de faire de pareils drames humains un tel show. Comment osent-ils mettre de la musique sur des images si dramatiques. Il faut qu'ils en rajoute une couche ? Ca n'est pas assez grave, la gravité de la situation ressortira mieux si on met un beat dessus ? C'est lamentable.
(l'autre docu le fait aussi un tout petit peu, mais ça ne m'a pas tant choqué)
UN ACCORD DE PAIX VICTIME DES CONVOITISES
Guerre et diamants en Sierra Leone (monde diplo)



Autour du rap et du hip hop et de la culture afro-américaine :
Emergence, Evolution et Histoire du Rap
La préhistoire du rap
Iceberg Slim (Wikipédia)
Sly Stone, le mythe de Stagger Lee
Gangsta Rap
Krs One (arte)
DJ Kool Herc (Bronx - NYC) : le Père du Hip hop

Autres :
Eirich From extrait de «L'art d'aimer»
UN MONDE SANS PÈRE NI MARI
La loi du désir comme principe communautaire
La société du spectacle